TocCyclopédie ■ Époques

L'inspecteur Lohmann enquête sur une étrange affaire, qui semble liée à un vaste complot. La seule piste qu'il a trouvée le mène au dangereux criminel Mabuse. Pourtant, celui-ci est devenu fou il y a des années et est interné dans une clinique psychiatrique...



Lorsqu'il commence à tourner Le testament du docteur Mabuse, Fritz Lang vient deconnaître un énorme succès avec son premier film parlant M le maudit (1931). Letestament du docteur Mabuse lui permet de retrouver le personnage de Mabuse,super-criminel créé par l'écrivain de littérature populaire Norbert Jacques. Langavait déjà mis en scène Mabuse dans son chef-d'oeuvre Le docteur Mabuse (1922).C'est le même interprète, Rudolf Klein-Rogge, qui tient à nouveau le rôle de cemalfaiteur. Otto Wernicke reprend le personnage de l'inspecteur Lohmann qu'il venaitd'interpréter dans M, la maudit : par conséquent Le testament du docteurMabuse est autant une suite de ce classique que de Le docteur Mabuse. Langbénéficie encore de l'aide d'un immense chef-opérateur, Fritz Arno Wagner, qui a donnéquelques unes de ses plus belles images à l'histoire du cinéma : Les trois lumières(1921) de Fritz Lang, Nosferatu le vampire (1922) de Murnau, Le montreurd'ombres (1923) de Robison, Le journal d'une fille perdue (1929), Quatrede l'infanterie (1930) et L'opéra de quat'sous (1931) de Pabst... Commecela était parfois le cas au début du parlant, deux versions du films sont tournéessimultanément : une en français et une en allemand, avec un casting en partiedifférent. La version en française du film a été supervisée par René Ty ; le rôledu commissaire de police y est tenu par Raymond Cordy (A nous la liberté (1931),La beauté du Diable (1950) et Les belles de nuit (1952) de RenéClair...). Le texte suivant a toutefois été rédigé après visionnage de la versionallemande.
La carrière allemande de Fritz Lang


C'est au cours des premières années de sa carrière de réalisateur, qui sesont déroulées en Allemagne, que Fritz Lang a donné au cinéma fantastique quelques unsde ses plus grands titres. Né à Vienne, il marche sur les traces de son père enétudiant l'architecture, puis se ravise et s'oriente vers les Beaux-Arts. Il voyage, etse fixe à Paris en 1913 :cette ville est alors en pleine ébullition artistique, avec ladécouverte par le grand public des travaux sur le cubisme effectués par Picasso etBraque. Mais l'arrivée de la guerre force Lang à retourner en Autriche, où il estrecruté par l'armée. Il est blessé en 1917, et envoyé dans une clinique. Il s'estmis à rédiger des scénarios de cinéma pendant son service : ils sont repérés par leproducteur-réalisateur Joe May, qui en tourne deux cette année-là. Puis Lang estremarqué par le producteur Erich Pommer de la firme Decla, qui l'engage comme scénaristeet réalisateur. Lang dirige donc son premier film avec La rastaquouère (1919),un mélo, suivi de deux autres drames : Le maître de l'amour (1919) et MadameButterfly (1919). Enfin, toujours pour Decla, il tourne Les araignées (1919),un film d'aventures exotiques en deux parties, imprégné de l'influence de lalittérature populaire du début du siècle dont raffolait Lang depuis son enfance. Cetournage l'absorbe tant qu'il doit laisser passer un autre projet : Le cabinet dudocteur Caligari (1920), scénario écrit par Hans Janowitz et Carl Mayer, qui serafinalement mis en scène par Robert Wiene, et deviendra un classique instantané, lançantdurablement une grand vague de films fantastiques en Allemagne. Lang aide aussi laromancière Thea Von Harbou à rédiger l'adaptation de son roman Le tombeau hindou,qui sera finalement réalisé par Joe May sous forme d'un film en deux parties. Lang etVon Harbou se marieront plus tard, et ils collaboreront sur tous les scénarios des filmsde Lang à partir de ce moment, jusqu'à ce qu'il quitte l'Allemagne.


Le prochain gros projet de Lang est Les trois lumières, en 1921, superbe contefantastique narrant l'histoire d'une jeune femme tentant, à travers diverses aventures,de racheter l'âme de son amant à la Mort. Lang devient alors un réalisateur-vedette,qui passe au service de l'UFA. Il réalise pour eux Le docteur Mabuse, en 1922,feuilleton policier en deux parties, interprété par Rudolf Klein-Rogge (qu'on retrouveradans de nombreux autres films de Lang : Die Niebelungen (1924), Metropolis(1927)...). Cette oeuvre met en scène les méfaits d'un génie du mal, ainsi que leportrait d'une Allemagne d'après-guerre en pleine crise économique et morale. Vientensuite Die Niebelungen (1924), vaste fresque en deux parties, issue deslégendes nordiques et germaniques relatant les aventures de Siegfried : cette coûteusesuper-production est un sommet de ce qu'on appellerait aujourd'hui l'"heroicfantasy", et il faudra attendre la trilogie de Le seigneur des anneaux dePeter Jackson, à partir de 2001, pour voir à nouveau autant de moyens etd'ambitions mises au service de ce genre. Après l'aventure exotique, le film policier etle médiéval-fantastique, Lang propose à nouveau un grand jalon du cinéma ens'attaquant à la science-fiction avec Metropolis (1927), immense classique, sicher à tourner qu'il faillit bien ruiner l'UFA. Le réalisateur eut l'idée de ce filmaprès avoir découvert l'architecture des gratte-ciels de new York. Metropolisdécrit la vision pessimisme d'une mégalopole du futur dans laquelle la société estdivisée en deux parties : les maîtres, qui vivent oisifs dans la ville haute ; et lesOuvriers, qui travaillent comme des esclaves et habitent dans la sinistre ville basse.


Avec Les espions, Lang s'attaque au cinéma d'espionnage, sur une trame rappelantun peu Le docteur Mabuse : le tout, assez lent et empesé, est loin d'être lemeilleur film de son auteur. Il revient à la science-fiction avec La femme sur lalune (1928), relatant une expédition en fusée sur ce satellite, le tout étantsous-tendu par une intrigue d'espionnage : c'est une grande réussite. Lang prend sonautonomie par rapport à l'UFA à l'occasion de son premier film parlant, M, le maudit,en 1931, dont le scénario était en cours d'écriture alors que le tueur en sérieKuerten, alias "le vampire de Düsseldorf" semait la terreur dans le pays. Lefilm de Lang suit les méfaits d'un tueur d'enfants, incarné par un jeune acteur hongroispromis à un grand avenir : Peter Lorre (Les mains d'Orlac (1935) de Karl Freund,Le faucon maltais (1941) de John Huston, La bête aux cinq doigts (1946)de Robert Florey, 20.000 lieues sous les mers (1954) de Richard Fleischer...). En1932, Lang tourne donc Le testament du docteur Mabuse. Mais les Nazis y voientune critique de leur parti, et le font interdire. Pourtant, Hitler et Goebbels admirent lecinéma de Lang, et ils lui proposent de travailler pour le Reich. Lang refuse et partalors en exil en France, où il réalisera Liliom (1934), encore sur un sujetfantastique (un homme, tué alors qu'il commettait un vol, revient sur Terre pour réparerses fautes quinze ans après son décès). Finalement Lang fuit aux États Unis, où ilréalise Furie (1936), qui se révèle, comme M le maudit, un plaidoyercontre le lynchage et toute forme de justice expéditive. Lang ne retournera en Allemagnequ'en 1956 et tournera de nombreux films à Hollywood, dans des genres assez variés :espionnage (Le ministère de la peur (1943)...), western (L'ange des maudits(1951)...), aventures (Les contrebandiers de Moonfleet (1955)...), films noirs (Règlementde compte (1953)...)... Mais, dans cette partie de sa carrière, le fantastiquen'aura curieusement pas vraiment sa place.





Le testament du docteur Mabuse


Un homme, nommé Hofmeister, découvre la cachette d'un gang de malfaiteurs. Il tented'avertir la police, mais les gangsters parviennent à l'en empêcher. Lorsque les forcesde l'ordre arrivent chez Hofmeister, celui-ci est devenu fou. Avant de perdre la raison,il a eu juste le temps de graver sur une vitre le nom "Mabuse". Le docteurMabuse est ce criminel qui a sévi en Allemagne, juste après la Grande Guerre, semant lechaos dans le pays, notamment grâce à ses talents pour l'hypnotisme et la manipulation.Mais ce génie du mal est devenu fou au moment de sa capture, et a été interné dans laclinique du professeur Baum, où il reste prostré à gribouiller des pages et des pagesde papier depuis des années. Pendant ce temps-là, divers faits divers (cambriolages,sabotages...) ont lieu, qui rappellent les méthodes de Mabuse. Kent, un des membres de cegang de malfaiteurs, décide, par amour pour la jeune Lily d'abandonner ces pratiquesmalhonnêtes. Mais, le chef de la bande, un personnage mystérieux, qu'on appelle le"maître", ne l'entend pas de cette oreille...


Le testament du docteur Mabuse, comme Le docteur Mabuse, est donc avanttout un film policier, relatant l'affrontement entre la police, incarnée ici par la forcetrès tranquille du commissaire Lohmann, et les puissances du mal, c'est-à-dire le gangqui multiplie les activités illégales. On retrouve dès lors diverses péripétiestypiques des feuilletons français de Louis Feuillade (Fantômas (1914), Lesvampires (1915)...) et des romans populaires. Chambre piégée, course-poursuite,génie du mal, indices énigmatiques à décrypter...sont donc bien au rendez-vous. FritzLang maîtrise alors parfaitement sa réalisation et ménage quelques tours de force, telle siège du refuge des gangsters, ou l'évasion de la pièce inondée par exemple.L'emploi de la bande-son est déjà excellent, comme le prouve l'usage oppressant duvacarme produit par la presse à faux-billets au début du métrage, qui accompagne laprogression du suspens aussi bien que les déplacements de Hofmeister dans l'atelier desgangsters. Dans le même style, citons encore l'emploi habile de l'assourdissant concertde klaxon lors du meurtre du docteur Kram, dans les embouteillages.


Toutefois, par certains éléments, Le testament du docteur Mabuse se distinguenettement d'un simple serial policier, et glisse vers un fantastique inquiétant.Cherchant à retranscrire l'angoisse de son époque, Lang intègre donc des idées venanten droite ligne du cinéma expressionniste allemand du début des années 1920. Descompositions d'ombres sont employées pour retranscrire l'atmosphère menaçante des ruesnocturne, et des visions fantastiques sont réalisées à l'aide de divers trucagesentraînant une distorsion de la réalité. On pense beaucoup à Le cabinet du docteurCaligari, notamment pour la présence très importante de la hantise de la folie, lecadre de l'asile psychiatrique... Le dénouement du récit, de son côté, nous ramèneaussi à ce classique de Robert Wiene.


Au-delà de tout cela, Lang a voulu donner à nouveau un portrait d'une Allemagne encrise. Le docteur Mabuse présentait le pays de l'immédiat après-guerre,vaincu, ruiné et en pleine crise morale. Le testament du docteur Mabuse, toutcomme M le maudit, s'intéresse à l'Allemagne qui, après s'être redressé, aà nouveau sombrer dans les problèmes économiques suite au retrait des capitauxaméricains placés dans le pays, à cause krach boursier de 1929. Dès lors le parcoursdu jeune Kent est exemplaire : réduit à la misère par le chômage, ce jeune ingénieurmet son talent au service d'une bande de gangsters. Mais quand il fera finalement preuvede scrupules, les malfrats tenteront de l'éliminer. Les plans du "Maître" sontaussi révélateurs. Son objectif n'est certes pas le profit : sabotage, trafic de drogueet distribution de fausse-monnaie servent avant tout à saper les bases de la sociétéallemande afin de l'affaiblir et de la mettre à la merci des forces du mal. Plus tard,Lang dira qu'il comptait ainsi dénoncer les méthodes des Nazis, alors en pleineascension. Ceux-ci durent bien le comprendre puisqu'ils firent interdire la sortie de Letestament du docteur Mabuse.


Toutefois, il reconnaître que Le testament du docteur Mabuse ne peut pasprétendre au même niveau d'excellence que Le docteur Mabuse. Il souffre eneffet de certaines chutes de rythme et d'un tempo tout de même un peu trop languissant,notamment au début du métrage.


Le testament du docteur Mabuse reste tout de même un bon film, bénéficiantd'une réalisation toujours extrêmement maîtrisée. Lang retrouvera Mabuse pour sondernier film, Le diabolique docteur Mabuse (1960), tourné en Allemagne aprèsson retour des USA. Cela relancera durablement la série, avec Le retour du docteurMabuse (1961) et L'invisible docteur Mabuse (1962) de Harald Reinl : cetimportant réalisateur tournera aussi certaines des fameuses adaptations germaniques desromans policiers d'Edgar Wallace (L'araignée blanche défie Scotland Yard (1963)par exemple...), dont les succès devaient encourager les producteurs italiens à mettreen chantier les premiers "Giallos" (Six femmes pour l'assassin (1964)de Mario Bava...). Reinl devait aussi tourner en Yougoslavie des westerns avec financementallemand, notamment Le trésor du lac d'argent (1962), une aventure dupeau-rouge Winnetou, dont le succès devait être tel qu'il provoqua la réalisation despremiers westerns-spaghettis (tournés en Espagne par des équipes italiennes), parmilesquels Pour une poignée de dollars (1964), qui lança aussi bien leréalisateur Sergio Leone que l'acteur Clint Eastwood. Mabuse continue ses aventures avec Letestament du docteur Mabuse (1962) de Werner Klingler, remake du film de Lang de 1933
puis vient Mabuse attaque Scotland Yard (1964) de Paul May et Mission
spéciale au deuxième bureau (1964) de Hugo Fregonese. Dans tous ces films desannées 1960, le rôle de Mabuse est tenu par Wolfgang Preiss (Les mystères d'Angkor(1960) avec Sabu et Lino Ventura, Le moulin des supplices (1960) de GiorgioFerroni...), tandis que le commissaire Lohmann a les traits de Gert Froebe (inoubliable Goldfinger(1964)...).


Bibliographie consultée :

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